Septembre 2023 : Parlez-moi d’avenir !

par Anne

– Et toi, quand est-ce que tu as compris que j’ai failli mourir ? 

La question, adressée à sa sœur, a fusé tout droit et sans prévenir de la bouche d’Anatole, un matin d’été, autour de la table du petit déjeuner.

Cette question m’a immédiatement replongée dans un tourbillon d’émotions. Tous ces instants gravés dans ma mémoire. Ces premiers temps où nous enregistrions les informations, les unes après les autres, plus noires à chaque fois. Le bureau sombre du médecin qui a prononcé pour la première fois le mot “cancer”. La chambre d’hôpital, en plein été, où j’avais toujours froid à cause de la clim, ou peut-être à cause de ce grand vide que je portais en moi. Les opérations, les prises de sang, les IRMs. Nos silences. Nos larmes derrière les portes fermées. Nos “Pourquoi?” sans fin, sans réponse, en boucle. Mais aussi le regard bleu de cet autre oncologue qui a pris le temps de nous expliquer tout, une fois, deux fois, et sûrement davantage, de sa voix posée, presque douce. La gentillesse des infirmières. L’élan de solidarité autour de nous. Ton sourire. Ta main dans la nôtre. Ton insouciance. Ta confiance.

Donner de l’espoir, envers et contre tout

Ce n’est jamais simple de penser à ces moments-là. En faisant le choix de soutenir d’autres familles, nous nous retrouvons souvent projetés avec eux dans ce que nous aimerions tant oublier. Mais pouvons-nous arrêter de parler de notre parcours, alors qu’il permet de servir de référence pour un traitement prometteur ? Quand d’autres parents ont besoin de croire qu’il y a d’autres issues que celle annoncée par les médecins ? C’est une mission que nous nous sommes attribuée. C’est faire honneur à la force de vie d’Anatole et à notre propre résilience. Même si parfois, l’émotion est grande face à la détresse des familles. L’annonce d’un cancer est toujours d’une telle brutalité. Et parfois notre espoir se fissure, fragile et malmené. Après 5 ans, c’est toujours aussi dur, comme si rien ne bougeait, comme si rien ne pouvait jamais changer. 

Cette semaine, nous avons appris le décès de ZoeJane. De quelques mois l’ainée d’Anatole, elle l’était aussi dans la maladie puisqu’elle a été diagnostiquée en 2017 d’un DIPG et qu’elle a bénéficié du ONC201. ZoeJane, dans les moments où je flanchais, me donnait toutes les raisons d’y croire. Elle défiait tous les pronostics, avec une volonté déconcertante. Et surtout, surtout elle donnait de l’espoir. Elle disait à tous, il y a les chiffres, et puis il y a moi, il y a le miracle, l’exceptionnel. Un vrai pied de nez. Avec son départ, je sais qu’il me faudra encore plus de volonté pour ne pas me laisser envahir par le doute, pour ne pas baisser les bras et me laisser emporter par le “A quoi bon ?”. La résignation, dans cette maladie, n’est jamais bien loin.

Toutes ces questions sans réponse

Et toi Anatole, quand as tu compris que tu avais failli mourir ? Quand as-tu réalisé que le cancer était une maladie grave, dont on mourait effectivement assez souvent ? Et qu’as-tu compris de manière générale ? As-tu compris que ta tumeur, cette grande endormie, devra être surveillée, toute ta vie ? Que même si elle est aujourd’hui stable et inactive, le cancer restera à jamais présent dans ton quotidien, sous forme de surveillanve médicale, d’effets secondaires et de séquelles ? Que tu vas devoir encore mobiliser une énergie folle pour tenter de mener une vie décente ? Que tu vas devoir chercher à dépasser tes handicaps, contourner tous les a priori et les préjugés ? Qu’il y a des obligations (rééducation, examens, soins) qui passeront toujours avant tes envies et ta liberté d’être ? Acceptes-tu ce chemin, sachant que tu n’as pas d’autre choix ? Consens-tu à ne pas rester dans l’amertume et l’aigreur de l’injustice pour vivre cette drôle de vie un peu tordue, avec joie ? Parce que même si elle est cruelle, elle vaut le coup ?

A 13 ans, les questions affluent, certainement liées à une prise de conscience toute neuve. Il va nous être de plus en plus difficile d’y répondre. Parmi les dernières qu’Anatole nous a adressées, il y a celles-ci : peut-on espérer la fin de la maladie, du handicap ? Peut-on être totalement guéri d’un cancer ? Quand saura-t-on qu’il est définitivement guéri ?… Elles contiennent tant de foi en cette guérison, en cet avenir. Ça me met le moral un peu en vrac d’y penser. Que dire de ce foutu cancer sans effrayer l’enfant dont la vie est menacée en permanence ? Faut-il le préserver à tout prix d’informations trop lourdes à gérer ? Doit-on lui dire la vérité ou bien la lui cacher ? Comment l’aider à ouvrir les yeux sans les lui crever ? Que lui répondre – honnêtement – sans le bercer d’illusions mais sans lui rogner les ailes pour qu’un possible reste possible ? Comment fait-on pour aborder les choses sans verser ni dans le pessimisme, ni dans l’optimisme le plus naif ? Comment ne pas passer pour des illuminés sans pour autant rejoindre la cohorte des sceptiques et des désabusés ?

Comment fait-on pour parler d’avenir à un enfant qui a failli mourir ?

Vivre au présent

Une partie de la réponse réside dans le fait de justement ne pas rester englué dans toutes ces questions, mais d’accepter de vivre ce qui nous est offert, au moment où ce temps nous est offert. Nous y arrivons tant bien que mal. Anatole continue bien à vivre avec le sourire malgré ses handicaps.

Cet été, Anatole a bien profité de son camp d’été où il a pu participer à un stage de théâtre dont il est revenu ravi. Les beaux jours en famille lui font toujours autant plaisir. Le training de rééducation à Barcelone a été psychologiquement moins dur que l’année dernière. Nous sommes admiratifs de son engagement et de sa motivation, ainsi que de tous les progrès faits. 

La rentrée de quatrième s’effectue sans heurt. L’établissement gère très bien la situation et fait en sorte qu’Anatole se sente bien dans son emploi du temps aménagé. Les profs sont engagés et connaissent tous à peu près le bonhomme. Ne tient qu’à lui de leur montrer sa ténacité et son implication mais aussi son évolution. Car il grandit, notre garçon, comme n’importe quel ado de cet âge. C’est peut-être plus difficile de le voir, de l’appréhender puisque son état nécessite un accompagnement permanent, mais il change et il mûrit. Il faut accepter de lui laisser cet espace d’epanouissement propre à cet âge-là.

Mûrir dans le handicap

Nous aussi, en tant que parents, nous mûrissons. Nous avons effectué un grand pas en inscrivant Anatole à des activités Parasport. Nous sommes entrés dans le monde du handicap de plain pied. Oui, j’avoue, c’est un pas qui coûte, il m’a fallu tout ce temps pour pousser la porte. Ces corps cabossés, ces âmes dans des enveloppes molles ou des carcans rigides, ces silences chargés de mille paroles, ces regards qui vous happent et vous renvoient ailleurs, loin, aux confins de la normalité, je les redoutais. J’avais tellement d’a priori. Et tellement de questions aussi. Quelle vie, quelle vie s’offre à ces enfants ? Et surtout, celles qui tournent en boucle maintenant : quelle place laissons-nous au handicap dans notre monde si lisse et normé? Où sont-ils, ces enfants dans la vie de tous les jours ? Où sont-ils une fois devenus adultes ? A vous, je pose la question : si vous n’’avez pas de raison de côtoyer le monde du handicap, quand le croisez-vous dans votre vie quotidienne? 

Dans ce monde parallèle, géré par les personnes en situation de handicap elles-mêmes, des handicaps même lourds, même non verbaux, chacun est le bienvenu. On ne demande pas “qu’est-ce que tu as ?” mais “qu’est-ce que tu veux faire ?”. La question passe outre le handicap. Il s’efface. S’oublie. Laisse place à la projection. Les limites tombent, les obstacles disparaissent. Vous le croirez peut-être ou pas, mais Anatole, lui, ne fait preuve d’aucune réticence devant ces jeunes. Lui, ce qu’il voit, c’est que pour une fois, les activités sont prévues pour lui et adaptées : le framerunner, le elinnebandy, etc… Il peut se donner à fond, se fixer des objectifs, se laisser prendre au jeu de l’effort. Quelle nouveauté pour lui ! Quel bonheur !

Anatole continue à faire d’autres activités comme le chant ou le théâtre. Lors des inscriptions, pour la première fois depuis 5 ans, j’ai parlé de mon fils en évoquant ses handicaps mais pas le cancer. Ça s’est fait comme ça, je n’ai rien prémédité. Mais lorsque je l’ai réalisé, aussi bizarre que cela puisse paraitre, j’ai trouvé que c’était juste. Parce que oui, mon fils est aujourd’hui un enfant handicapé. Mais peut-être qu’il est possible de se dire que le cancer est une page qu’on a lue et qu’on aimerait bien tourner. 

Septembre, en or comme le silence

Sauf que voilà, les IRM, c’est toujours tous les 3 mois. Les prises de sang aussi. Et toutes ces batteries d’examens continuent à rythmer la vie d’Anatole et l’empêche d’envisager une vie normale. C’est comme si quelqu’un le retenait par la taille pour l’empêcher d’avancer. Et cette absence d’inscouciance concernant sa santé lui pèse. Il voudrait tellement vivre une vie sans hôpital.

Il faut que tout le monde comprenne le drame du cancer pédiatrique. Que tout le monde comprenne qu’il y a quelque chose de terriblement déplacé à voir un enfant atteint d’un cancer, touché dans son corps, dans sa chair, dans son être. Voir un enfant malade, c’est recevoir la fragilité, l’incertitude et l’impuissance en pleine face. La violence, l’injustice, la brutalité en plein ventre. La peur, la souffrance et l’immense, l’abyssale détresse en plein coeur.

Le cancer n’arrive pas qu’aux autres. C’est une maladie grave qui nous concerne tous et ne doit pas reposer uniquement sur les épaules de jeunes enfants et de leurs familles. Ce mot cancer fait tellement peur, et pour cause : 15 % des enfants qui ont un cancer ne s’en sortiront pas. Parmi les survivants, 70 % souffriront de séquelles dues à l’après-maladie et aux traitements lourds. Cette vérité-là me fait pleurer.

Les chiffres du cancer pédiatrique sont en augmentation. Des chiffres peut-être plus grands en raison d’une détection meilleure ou plus précoce de ces cancers, d’après le CIRC, sans préciser dans quelle proportion. Mais l’augmentation de l’incidence des cancers pédiatriques pourrait aussi être influencée par «des facteurs extérieurs, tels que des infections ou certains polluants présents dans l’environnement».

Prévention, accès aux soins, accompagnement et suivi à long terme sont autant de critères qu’il faut prendre en considération dans la lutte contre le cancer pédiatrique.

Ces enfants méritent beaucoup plus que le silence, l’indifférence et la résignation qui font trop souvent irruption dans leur vie au moment du diagnostic. Parler du cancer pédiatrique, c’est parler d’un fléau qui ne cesse d’augmenter, un mal qui peut toucher n’importe lequel de nos enfants, dont il faut comprendre l’origine tout autant que les symptômes et le développement si l’on veut pouvoir protéger et guérir. Parce que les enfants sont notre avenir et qu’ils ne peuvent grandir que si l’on leur en donne les moyens.

C’est à nous, parents, associations, chercheurs, soignants, cliniciens, politiciens d’agir. C’est à nous de faire bouger les lignes. C’est à nous de parler d’espoir et d’avenir.

Sinon qui le fera ?

A la mémoire de ZoeJane, porteuse de flamme. Ton avenir fut trop court.

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9 commentaires

Agnès 29/09/2023 - 22:28

ensemble on est plus fort, on ne lâchera rien ! nous sommes avec toi Anatole, avec vous ses parents. Avec toute notre affection, Agnès

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Guiot Francoise 30/09/2023 - 08:07

C’est toujours bouleversant de vous lire Anne. Pourrait-on y voir une consolation au grand malheur d’Anatole d’avoir des parents comme vous ? Je vous suis depuis Europe 1 et me réjouis chaque fois des progrès de votre petit héros. Je mesure combien il vous les doit aussi. Bravo à tous. Gros câlin à Anatole.

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Florence et François Gautier amis de Christine 30/09/2023 - 08:35

Ces messages périodiques sur le chemin de votre si vaillant garçon sont une vraie leçon de vie et un récit d’un e grande profondeur. Merci. Vous avez raison, on ne comprend pas le handicap tant qu’on ne l’a pas côtoyé, bravo pour votre force, celle d’Anatole sans oublier sa soeur.

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vignat 30/09/2023 - 10:04

Quelle émotion !! de lire ce texte, nous sommes, peut être sans le dire et le montrer très “avec vous tous les jours” et pour nous qui croyons envers et contre tout la prière nous tient et nous aide a tenir le coup.
Ou il est ton Dieu ? disait un enfant à ses parents, dans la maladie je ne l’ai jamais vu !
Tu ne l’a jamais vu parce qu’il te porte dans ses bras pour t’aider à aller.
On vous embrasse tous et croyons Maman Papa

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A Demairé 30/09/2023 - 13:08

Bravo Anatole. Tiens la vie à pleines mains.
Reste confiant.

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Le Maux K 01/10/2023 - 00:44

Si Admiratifs et si impuissants en même temps
Nous ne pouvons que lire et essayer d’imaginer votre Quotidien et ses incessants rebondissements ; mais
Mille mercis de nous donner toutes ces nouvelles.
C’est tjrs aussi puissant et dur a la fois.
J’absorbe tes paroles Anne , tous tes mots, tous ces maux…On vous embrasse fort et on vous attend 😉❣️ Baisers particuliers au grand Jedi 😘

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Eric 02/10/2023 - 06:09

Merci de partager ces lignes, ces points d’interrogation… de nous faire réaliser où vous en êtes, où tu en es, Anatole. Oui, tu es un vrai ado maintenant, un chouette ado ! Je languis de te voir dans tes nouveaux sports ! Le théâtre, on connaît, on t’a vu à l’œuvre ! Brillant ! On t’attend sur les skis-joellete cet hiver ? Rien ne te fait peur !
Plein de grosses bises de haute savoie !!

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FRACES NATHALIE 02/10/2023 - 11:37

Magnifique ! vous êtes toute votre famille juste incroyable et MAGNIFIQUE ! Quelle leçon de vie ! J’ai toujours énormément de plaisir de voir les progrès et la volonté d’Anatole. Merci de nous donner de vos nouvelles et encore BRAVO pour tout ce que vous fâites.
Je vous envoie que des ondes positives.

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Luchel Nathanael 02/10/2023 - 17:13

Je suis admiratif
Du courage d’Anatole et de ses parents
Merci pour le témoignage

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