2023 – Toute la vie devant soi

L’année 2023 débute. Notre silence sur les réseaux signifie qu’Anatole va bien, il va sur son chemin avec constance. Peut-être montre-t-il un peu plus d’esprit rebelle lié à l’adolescence, mais toujours avec le sourire et beaucoup d’humour. La vie est là et nous lui laissons la place.

Etat des lieux de la santé d’Anatole

2022 a apporté quelques belles améliorations des symptômes invalidants dont Anatole souffre. Les vertiges ont réduit d’intensité jusqu’à parfois disparaître. La vision de l’œil gauche a gagné un point. Anatole s’est fait opérer du frein de la langue en espérant que cela facilite sa diction et sa déglutition. Restent la difficulté de marche, l’absence de préhension de la main gauche. Et le handicap invisible, les maux de tête et la fatigabilité, imprévisibles et incontrôlables.

Deux épisodes de crises (épilepsie ou panique ? Ce n’est pas clair) nous on fait bien peur, un à la Toussaint et l’autre un peu avant Noël, mais après toute une série d’examens, les médecins ont pu affirmer qu’ils ne sont pas directement liés à la tumeur, elle-même toujours stable. Il faut aller chercher les causes ailleurs. Nous pensons au stress et j’ajouterais volontiers la fatigue générale liée à la saison et au manque de luminosité propre à notre pays. Cela influe bien sur les humeurs des bien-portants, alors on peut imaginer sur les plus fragiles…

Priorité à l’école

Enseigner est un métier. Durant l’année de sixième, j’avais tout bonnement refusé de m’impliquer. Je ne me sentais pas légitime, ni à ma place. J’estimais que ce n’était pas mon rôle, que j’avais déjà suffisamment de casquettes. Puis je me suis raisonnée : mon fils a besoin d’aide, c’est maintenant qu’il faut être disponible pour l’accompagner. Je suis donc dorénavant investie dans les devoirs à la maison. Me voilà plongée dans les valeurs des temps du passé, dans l’essor des villes au Moyen Âge, Je laisse à son père les fractions et autres enseignements scientifiques… Je te le dis tout net, aucune matière n’est facile ! Nous avons également l’aide toujours bienveillante de ses AESH, celle d’un copain une heure par semaine pour revoir ses leçons derrière la porte fermée de la chambre (on les entend surtout beaucoup rire !), et celle d’un étudiant pour les maths. Mieux entouré, Anatole est moins perdu, plus serein. Et les évaluations le montrent, l’année de cinquième se déroule plutôt bien.

Une pause sur la rééducation

Réduire le nombre de stages de rééducation auxquels nous aimerions qu’Anatole prenne part est une décision difficile. Elle implique que nous “abandonnons” de stimuler les parties du corps d’Anatole qui ne répondent plus. A quelque chose près, c’est presque vécu comme un échec. Mais c’est une pause nécessaire. Nous nous mettons à l’écoute de notre fils. Son engagement est crucial pour que ces stages soient efficaces. Nous devons préserver sa motivation et que, de lui-même, il décide d’y aller. Il n’y a que lui qui peut faire ce choix. Je garde en tête une phrase qu’il nous avait lancée un jour, énervé, il devait avoir 4 ou 5 ans, “Ce n’est pas vous qui décidez de ma vie !”. Il a tellement raison. Nous continuons à chercher ce qui peut lui être bénéfique. Nous continuons à mettre à sa disposition tout ce qu’il est possible d’imaginer pour le stimuler. Mais la volonté et le désir de progresser lui appartiennent. C’est lui et lui seul qui est en charge du navire.

Reprise du suivi médical aux USA

Nous retournons à Washington DC en mars. Cela fera 3 ans que nous n’avons pas rendu visite au Dr Kilburn au Childrens National Medical Centre. Je ne suis pas persuadée de l’intérêt de ces visites-éclairs fatigantes même si nous limitons la durée du séjour à à peine 24 heures pour ne pas avoir à souffrir du décalage horaire, cependant revoir l’équipe a quelque chose de positif. Une petite victoire sur le temps et la maladie. Et on se sent peut-être moins seuls devant le cancer et ses séquelles, plus épaulé, mieux pris en charge lorsque l’on rencontre son ou ses médecins… Nous espérons en revanche limiter les voyages à une ou deux fois par an.

5 ans de cancer – la notion de temps élastique

Anatole l’autre jour demandait : 
– Depuis quand est-ce que j’ai mon cancer ?
– 5 ans.
– Ah oui, quand même…

5 ans, C’est long et ce n’est rien tout à la fois. Si on me demande où sont passées ces 5 années, je n’en ai aucune idée. A croire qu’elles se sont perdues le long des couloirs d’hôpital. Je n’en garde que l’intensité. Des années qui valent double, voire triple, tant elles sont denses et, encore aujourd’hui, bien lourdes à porter.

Et en même temps, ce sont 5 années de moments précieux à vous couper le souffle comme le fait de faire tous ensemble un câlin familial, de danser dans la cuisine avec la musique à fond, de partir à la découverte de nouveaux horizons ou de piquer un fou-rire sans raison. Parce qu’on en connaît la valeur, on mesure notre chance. Même abîmés, même bancals, même avec le cœur lesté par tous les impossibles, il nous reste ces moments à habiller de moments extraordinaires. 

À la question “T’arrive-t-il de penser à la mort ?” issu d’un petit jeu de société qui libère la parole avec des questions portant sur de nombreux sujets, Anatole nous a répondu du tac-au-tac avec son aplomb habituel : “Vu que je suis encore un enfant, j’ai du temps devant moi avant de penser à ces choses-là…”. Anatole nous fait comprendre à sa manière qu’il y a un temps pour tout, mais surtout un temps présent.

Oui, La maladie nous a rendus plus fragiles physiquement et émotionnellement. Mais la maladie nous a aidé à relativiser et à apprécier l’instant. Elle nous a rendus surtout plus proches, elle tisse dans notre famille un lien particulier. Ensemble, nous léchons nos plaies en silence en nous tenant serrés et en savourant l’existence.

5 ans – le temps des constats

5 ans, cela peut-être aussi le délai d’un constat difficile. La prévention, le dépistage, la recherche, l’accès aux traitements et l’accompagnement n’ont pas à mon avis véritablement changé en 5 ans. Encore aujourd’hui, 1 enfant sur 5 ne survit pas à son cancer. Peu importe la façon dont il est aimé, accompagné, traité.

2 X 5 ans alors ? C’est la durée de la stratégie décennale de lutte contre les cancers 2021-2030 du gouvernement, portée par l’institut national du cancer que je vous invite à consulter. Dans cette stratégie, 11 mesures concrètes et je l’espère réalisables sont exclusivement dédiées à la lutte contre les cancers pédiatriques.

Ces quelques lignes dans un document ne sont que des mots bien sûr. Des notions arbitraires, théoriques, abstraites. Mais qui contiennent infiniment de promesses. infiniment d’histoires, de possibilités, d’options. Proposer des choix, c’est autoriser l’espérance. Et voilà la magie du cercle vertueux : quand s’il y a de l’espoir, il y a de la vie. Infiniment de vie. Une vie dont on ne connaît ni la durée, ni l’intensité, mais une vie devant soi. Alors ces mots-là, croyez-moi, prennent tout leur sens.

Le moment présent et l’espoir au futur

Un peu tardivement mais du fond du coeur, nous vous souhaitons ainsi qu’à tous ceux qui vous sont chers une très bonne année à venir. Que les promesses contenues dans les jours qui se profilent soient à la hauteur de vos attentes et vous apportent beaucoup de moments à vivre dans l’instant présent, avec l’espoir profond et puissant que d’autres viendront encore.