Un mois de mai bien gris

par Anne

Compter les jours, les mois, les années

9 mai 2018. 9 mai 2024. 6 ans. Je sais je ne devrais pas ressasser ces pensées mais c’est plus fort que moi. Le 9 mai 2018, je me vois rentrer en taxi à la maison après cette nuit surréaliste où un médecin m’a annoncé ton cancer à 1 heure du matin dans un bureau glauquissime. Dans cette voiture qui nous ramène chez tes grands parents, tu somnoles, ta tête de petit garçon posée sur mes genoux. Je ne le sais pas encore mais après ce jour-là, le soleil, les jours, ton enfance, ma parentalité, tout sera brouillé par les larmes qui, durant ce trajet, coulent sur mes joues sans que je ne puisse rien y faire. Tout sera dorénavant toujours un peu humide, un peu gris.

Une patience à toute épreuve

Cela fait 6 ans que tu es devenu un patient. Que tu attends la parole des adultes, qu’on te la traduise, qu’on te l’explique. Que tu espères un diagnostic, un traitement, une guérison. Que tu passes chaque année un nombre incalculable de fois la porte de l’hôpital (je n’arrive plus à tenir les comptes), que tu te fais ausculter, patouiller, que tu réponds à des questions, toujours les mêmes, avec le même calme, la même douceur, la même candeur. Tu restes patient, au sens propre du terme. Est-ce de là que vient ce mot, du fait que la guérison puisse mettre du temps à arriver et peut même devenir l’attente de toute une vie ?

6 ans que la maladie a pris ta vie en otage. Que tu n’as plus le droit de décider. On t’amène, on vient te chercher, on fait pour toi, à ta place, parce que c’est plus pratique, parce que ça va plus vite, parce qu’on a peur pour toi, que tu te fasses mal, que tu n’y arrives pas. Tu n’as jamais la possiblité de faire à ta guise. Tu ne peux pas traîner sur le chemin de l’école. Tu ne t’arrêtes pas en route pour acheter des bonbons. Tu ne décides pas de quand tu as faim, de l’heure à laquelle éteindre ta lampe de chevet. Cela ne te vient pas à l’idée de chiper un morceau de chocolat dans le placard ou de lire sous les draps, bien après l’heure autorisée. Tu nous écoutes, tu obéis. Tu acceptes. Tu ne connais pas l’indépendance, ton quotidien est une suite de moments définis, cadrés. À l’âge où l’on revendique son autonomie, la tienne repose sur une routine à laquelle tu ne déroges jamais, parce que tu n’en éprouves pas le besoin et surtout parce qu’elle te rassure.

Transmettre sa part d’enfance

Cela fait 6 ans que tu as quitté la cour de l’école, ses jeux et ses cris, que tu as oublié ce que c’était une mêlée au rugby, de gratter ta guitare, de courir après les autres, de faire des bêtises dans le dos des parents ou des trucs en secret avec les copains. A présent, tu es toujours “sérieux” et “raisonnable”. Si loin de l’enfance. Je ne suis pas sûre que ce soit par choix. Tu deviens un autre, loin des images que je pouvais m’être imaginées. Je n’ai pas les repères ni les mots pour t’accompagner. Tu te forges seul. Tu deviens ce mystère. C’est dur de ne pas partager ces moments d’enfance que j’aurais voulu vivre ou revivre grâce à toi. Faire des gâteaux, divaguer dans ce jardin qui devait abriter tes jeux, observer les insectes, cueillir des fraises ou des fleurs, laver la voiture pour gagner une pièce, grimper sur les rochers, s’allonger dans l’herbe pour regarder les nuages, courir à perdre haleine. Tu ne connais pas la griserie de la vitesse à vélo, le cœur qui s’emballe à chaque coup de pédale, le vent dans les cheveux et sur les bras, tellement réel que c’est comme quelqu’un qui te pousse. Dans le mouvement, il y a la vie que j’ai eue et tu n’as pas l’expérience de cette vie-là. Bien sûr, tu connais des bonheurs et des joies. J’en suis sûre. Mais je ne peux ni les anticiper, ni m’en réjouir tout à fait. Et cette impression de ne pas pouvoir te transmettre de sa propre enfance ce sens de la liberté, cette joie pure, il faut bien le dire, pour un parent, c’est dur.

Tout est possible

“Tout est possible” ai-je l’habitude de te dire. Surtout depuis le jour où, parce que tu ne participais pas à une activité qui te motivait, tu m’avais dit ” De toute facon, c’est trop compliqué”. Le coeur à l’arrêt, je t’ai seriné jusqu’à ce que je n’en puisse plus : “Tout est possible !”. J’y crois dur comme fer. Te refuser des choses, ce serait comme te punir de ta maladie. Une injustice de plus. Je crois qu’avant tout, ce qui me fait mal à en crever, c’est l’idée que tu ne t’autorises plus à rêver. C’est vrai, la vie est belle avec peu. Mais à ton âge, c’est normal de voir les choses en grand. Je ne vois pas pourquoi le cancer rognerait tes ailes. Une tumeur n’a jamais empêché de voler haut. Et je sais bien qu’il y a une condition à cette affirmation. Elle est toute simple : ce n’est qu’une question d’organisation. Le cancer t’a enlevé la spontanéité et l’élan, mais il n’aura pas ta volonté. Tant que tu rêves de ton avenir, le reste suivra.

Tu flanches parfois. 6 ans que tu subis. Que tu es devenu ce garcon résilient et fier, mi bébé-couvé, mi adulte. 6 ans que tu te trimballes ce foutu diagnostic. Ce n’est pas toujours rose. Cette année, tu as commencé à dire que tout cela te pesait. Tu nous as parlé de ton ras-le-bol, ta lassitude, tes idées noires qui parfois viennent nicher comme une volée d’oiseaux derrière ton beau front. Et moi, je ne souhaite qu’une chose. Que cette maladie qui te tient la face collée contre terre, tu la défies pour prendre de la hauteur. Que ce qui te plombe te permette de te surpasser. Tu en es capable. Tu nous le prouves par ta capacité à récupérer la marche, à croire encore contre vents et marées que ça ira encore mieux demain, à rester campé sur tes deux pieds tout en rayonnant comme tu le fais. Tu es tellement, tellement puissant. N’en doute pas une seule seconde. L’école, le sport, les loisirs, les copains, l’avenir. Tout est possible tant que tu décides d’y croire. Ce n’est qu’une question d’organisation. Ne t’inquiète pas, nous sommes nombreux à être derrière toi, pour ça.

Deux réponses magnifiques

En mars, tu allais faire ton bilan annuel auprès du Docteur Kilburn à Washington. Tu avais une seule demande : espacer les check-ups médicaux qui te pourrissent la vie parce qu’ils te prennent du temps de vacances, du temps d’école, du temps de jeux. Qui te prennent surtout la tête. Nous avions fait suivre ta requête auprès du laboratoire pharmaceutique sans trop savoir ce qui pouvait en advenir. Il y a des enjeux qui nous dépassent, qui impactent le simple suivi de ta maladie, nous le savons. Mais toi tu ne l’acceptes pas, c’est ta vie qu’on prend à chaque examen, quand tu replonges dans l’univers des hôpitaux le temps d’un bilan, d’une IRM ou d’une prise de sang, qui te ramène sans cesse au cancer. Tu n’en as plus envie, tu veux t’en défaire. La bonne nouvelle est tombée : puisque la tumeur continue d’être stable, les IRMs auront lieu tous les 6 mois au lieu de 3. La réponse est magnifique pour deux raisons : d’abord c’est un message fort pour te dire que oui, tu vas bien et qu’il n’y a plus besoin d’un suivi aussi constant et assidu. Le mot rémission n’est jamais prononcé, cependant, c’est le message que nous envoient les médecins. La deuxième et non des moindres, c’est que l’équipe médicale prend ta parole au sérieux, ils t’écoutent et respectent ta volonté. C’est toi qui décides de ta vie. Ils ne le savent pas, mais c’est un énorme cadeau qu’ils te font là.

Être partie prenante dans son parcours de soin

Tu découvres que tu es partie prenante dans le choix de ta thérapie. Cependant, lorsque tu demandes si tu peux interrompre le traitement du Onc201, le docteur Kilburm est honnête et t’explique les risques. On ne sait pas ce qui se passerait si tu arrêtais le traitement, et s’il fallait reprendre le traitement après une longue pause, quelle serait son efficacité. L’enjeu est trop grand, tu le comprends parce le docteur a décidé de faire confiance à ton jugement. J’en suis très émue et reconnaissante. D’autres enfants, comme ce jeune Jasper, ont arrêté le Onc201. Nous suivons son parcours, curieux et optimistes, mais aussi inquiets. Ces quelques gellules sont pour moi une béquille dont je ne suis pas prête à me passer. Pourtant, un jour, je le sais, un jour, ce sera ton choix de continuer ou non. Et j’aurais confiance en ta décision puisque aujourd’hui déjà, tu réfléchis à tout cela.

Mai, mois gris

Le mois de sensibilisation aux tumeurs cérébrales vient de s’achever. Le constat est amer. Le peu de médiatisation reste monnaie courante. Tant qu’une célébrité ne sera pas concernée de près ou de loin, la cause restera souterraine. Peu de visibilité, peu d’avancées. Le mois de mai reste gris, seule la météo a pris le relais. Peut-être pour nous y faire penser, pour ne pas oublier que malheureusement, le cancer est une réalité pour beaucoup d’entre nous, et que si la vie doit continuer, pour les patients, petits ou grands, c’est sous un ciel toujours aussi plombé.

En hommage à Sybille, dont l’avenir prometteur a été recouvert de milliers de fleurs blanches.

Laisser un commentaire

13 commentaires

Sylvie 09/06/2024 - 19:39

Tout est possible pour Anatole notre combattant de l’impossible… force et résilience. Gros bisous à vous 4.

Répondre
Solenne 09/06/2024 - 19:50

Ravie de lire que l’IRM est stable, et l’espacement des contrôles possible. 🩶

Répondre
Esclassan 09/06/2024 - 20:02

Anatole exprime sa volonté, son désir d’autonomie. C’est tellement courageux et positif . Et Bravo pour sa persévérance malgré la lourdeur des soins. Tant mieux si les contrôles le laissent enfin un peu plus libre ! Une vie différente qu’il va modeler petit à petit pour trouver sa voie. Tout a été possible jusque là et ça va continuer ! Faites lui confiance comme vous l’avez toujours fait ! Vos nouvelles nous font toujours plaisir.

Répondre
Regis 09/06/2024 - 20:37

Courage Cher Anatole. Tout est possible!

Répondre
Tricou Jacqueline 09/06/2024 - 21:18

Anne, toujours aussi réaliste et émouvante dans tes écrits.
Bon courage pour Anatole et pour vous dans les choix à faire pour continuer à vous battre.
Bravo Anatole pour tes réflexions et tes choix.

Répondre
Agnès Métais-Lannaud 09/06/2024 - 22:05

quelle force a votre message ! quelle force a votre fils. et si parfois la force vous manque autours les 2, écrivez écrivez, et nous tous, on fera tout pour vous redonner la force 🙂 Tous avec Anatole !!! parcs qu’Anatole, cela pourrait être notre enfant, notre petit enfant, et que ce jour là nous aussi on aurait besoin de force et de soutien pour tenir

Répondre
Drivon 10/06/2024 - 08:29

Quelle émotion en lisant… Merci, je n’aîaps d emits pour le dire autrement 🙏

Répondre
thierry 10/06/2024 - 09:28

Bravo Anatole, bravo aussi à tes parents, ton entourage qui t’accompagnent si bien. oui tout est possible, comme cette bonne nouvelle récente, comme un moi de juin ensoleillé après des mois de pluie. on est de tout coeur avec toi pour que tu puisses vite reprendre le cours de ton enfance

Répondre
Crépellière Chantal 10/06/2024 - 09:52

Courage à Anatole, courage à vous. Peut-être y a-t-il des activités, loisirs qu’il ne connaît pas encore et qui lui plairaient ? Le yoga par exemple est une belle discipline qui fait du bien. Très affectueusement.

Répondre
Laurence 10/06/2024 - 13:02

Encore une fois merci pour cette force de partager…et de se battre. J’aurais pu écrire beaucoup de ces mots. Pas aussi joliment sûrement.
Moi je savoure le répit avec cette petite voix derrière qui est toujours là. Comme une mauvaise ombre.
La vie a quelque chose de gris depuis.
Merci alors et de la force à Anatole.

Répondre
Marie-Claude 10/06/2024 - 18:43

Bonjour très heureux Anatole soit sur la voie de la guérison. J aurais aimé le voir sur une photo plus récente car lebpetit ange grandit il est ado maintenant. Bon courage

Répondre
Gwénola 11/06/2024 - 00:16

Quel magnifique message, merci pour nous partager cette météo avec tant de sincérité et de beauté… Courage, patience… je vous envois toutes mes plus belles pensées d’amitiés et de soutien pour mettre du soleil dans les recoins de vos cœurs…

Répondre
Jadin 12/06/2024 - 22:02

Toujours aussi émouvant de vous suivre 😘
C’est que la médiatisation est nulle!
J’embrasse Anatole 😘😘😘 ainsi vous ses parents!!

Répondre